Alors qu’Emmanuel Macron a condamné fermement les exactions portées contre l’ambassade française au Niger, il semble alors important de ce questionner sur les enjeux de domination et de souveraineté qu’affirme le Niger dont le Franc CFA en serait la principale cause. La cause monétaire à l’origine des tensions est particulièrement intéressante à décortiquer dans l’optique du programme de deuxième année d’ESH.
Le Franc CFA : de quoi parle t-on ?
Les origines du France CFA
Le Franc CFA – monnaie utilisée dans les anciennes colonies françaises d’Afrique – a des origines historiques remontant à l’époque coloniale. Au XIXe siècle, la France a établi des colonies en Afrique et a utilisé le Franc français comme monnaie officielle par la suite. Après la Première Guerre mondiale, la France a contraint les pays africains à adopter un système de change pour répondre à ses besoins de matières premières et pour renforcer son lien historique avec l’Afrique. Ce système a été qualifié de « Franc forcé » par l ‘économiste et ancien ministre togolais des Finances Kako Nubukpo.
En décembre 1945, à la suite de la Seconde Guerre mondiale, le Franc CFA a été instauré pour remplacer le Franc français dans les colonies africaines, divisant la zone en deux : l’UEMOA (e Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo) et la CEMAC (le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad). Cette monnaie a resserré les liens économiques entre la France et les pays africains et a contribué à un afflux massif des colons dans la zone pour garantir la stabilité des colonies françaises. Le Franc CFA permettait alors a l’ensemble des colons de voir leur pouvoir d’achat se renforcer en Afrique. Alors qu’à sa création le franc CFA valait 1,70 Franc Francais, il atteint 2 Francs francais en 1948.
Le Franc CFA face à la décolonisation
Malgré les vagues successives de décolonisation des pays africains dans les années 1960, la zone Franc CFA est demeurée inchangée, soumettant les Etats africains à des obligations monétaires strictes. Par exemple, l’approbation de la France est nécessaire pour utiliser le Franc CFA dans le contexte des exportations, en raison des limitations liées à la parité fixe. Cette réalité a une influence considérable sur leurs enjeux de développement des pays de la zone. Selon l’économiste Felwine Sarr, le franc CFA a eu un impact continu sur le développement des pays africains et serait la manifestation d’un « passé colonial qui n’a pas été rompu ».
Des dévaluations multiples dans le courant des années 1980
Les dévaluations successives du Franc CFA réalisées dans le courant des années 1980, ont été initiées par le FMI, la banque mondiale et le gouvernement français, sans la moindre consultation des autorités africaines. D’un point de vue empirique, ces dévaluations- et notamment celle de 1994, ont contribué au regain de compétitivité des pays africains et ont marqué le début de leur intégration dans le commerce mondial.
Huit années plus tard, l’introduction de l’euro a profondément altéré les perspectives de développement pour l’Afrique. En effet, l’ancrage du Franc CFA à l’euro, a éliminé les bénéfices des dévaluations précédentes, mettant en évidence la corrélation étroite entre le niveau de développement et la force d’une monnaie. Cette évidente contradiction a mis en lumière des choix politiques qui ont nui aux perspectives économiques et monétaires de ces pays. À l’inverse, cette nouvelle fixation a offert l’avantage de l’exportation à tous les pays de la zone euro.
Un système particulièrement avantageux pour la France
Le mécanisme du Franc CFA présente des avantages significatifs pour la France. En réalisant des achats dans les nations qui utilisent le Franc CFA et en effectuant les paiements avec cette devise, la France réussit à maintenir ses réserves de change tout en étendant son marché de biens et de services aux pays africains. Mais comment fonctionne-t-il du côté des pays africains ?
Un système complexe
La zone Franc CFA est régie par certains principes clés et notamment la garantie et les comptes d’opération. Ces mécanismes autorisent le Trésor francais à fournir des prêts en devises aux banques centrales des pays de la zone CFA en cas de nécessité. Les pays débiteurs se voient alors contraints de constituer une contrepartie sous la forme de réserves de change -représentant généralement 50 à 65 % de l’opération. La conséquence principale de ce système est de restreindre les marges de manœuvre des autorités africaines, et donc de peser sur leur croissance économique. Par exemple, les pays de la zone CFA doivent maintenir une partie substantielle de leurs réserves de change auprès du Trésor francais. En 2019, les réserves de change des membres de la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) étaient estimées à environ 15 milliards d’euros, dont près de 50 % étaient déposes auprès du Trésor francais. Une configuration simialire prévaut pour les pays de le CEMAC.
De nos jours, la France maintient toujours la parité du Franc CFA, et les pays africains quant à eux continuent de déposer leurs réserves auprès du trésor francais. Bien que les avantages de cette fixation ne soient pas tout à fait démontrés, la France a importé l’équivalent de 76 200 millions d’euros, contre plus d’un milliard d’euros d’exportations vers le Sénégal, soit un excédent d’environ 920 millions d’euros au bénéfice de la France. Face à cette situation, les populations des pays membres de la CEDEAO (communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) expriment de plus en plus un sentiment anti-franc CFA, voire même anti-France.
Les tensions au Niger
L’événement violent survenu au Niger illustre précisément la volonté de changer radicalement de dynamique politique et monétaire. L’arrivée au pouvoir des putschistes ne reflète pas nécessairement les véritables aspirations économiques qui se cachent derrière. Il est néanmoins crucial de considérer à l’avenir une transition sans le Franc CFA (cf. les propositions suggérées par l’union Africaine : le fameux ECO).
L’avenir du Franc CFA reste incertain. Malgré qu’il offre un gage de garantie pour les pays africains, celui-ci demeure cependant vivement critiqué pour son potentiel à restreindre le développement autonome de ces pays.