Le dollar américain est depuis longtemps la monnaie la plus utilisée pour réaliser des transactions commerciales (échanges de biens et services) et financières (achat d’actions, obligations…) compte-tenu de la capacité de la bourse américaine à accueillir un nombre toujours plus croissant de capitaux. Or, pour comprendre la suprématie du dollar puis son potentiel « déclin » aujourd’hui, il faut en réalité remonter à la seconde guerre mondiale.
La suprématie historique du dollar
Le contexte foudroyant de la seconde guerre mondiale a fait naître chez les alliés (Etats-Unis et Grande Bretagne) une volonté de coopérer sur le plan monétaire. L’objectif était d’instaurer un cadre de paix et de mieux se relever des conséquences du conflit jugé comme étant le plus meurtrier de l’Histoire. C’est ainsi que, dans le cadre de la conférence de 1944 à Bretton Woods, deux plans ont été proposés pour établir les règles du futur Système Monétaire International (SMI) : le plan Keynes (pour la Grande Bretagne) et le plan White (pour les Etats-Unis).
Alors que les Etats-Unis détenaient deux-tiers des réserves d’or mondiales à cette période et que la place financière newyorkaise était la première mondiale, ils étaient largement prêts à assumer leur statut de puissance hégémonique (1988, KINDLEBERGER) en s’affirmant comme première puissance économique et organisatrice mondiale. Le système de Bretton Woods instauré dès la fin de la seconde guerre mondiale était un système dit « d’étalon-dollar » où la majorité des flux commerciaux et financiers étaient libellés en dollar.
De plus, ce système permettait aux Etats-Unis d’échanger sans jamais réduire leur stock d’or : ils finançaient leur « déficit sans pleurs » selon l’expression de Jacques Rueff. En d’autres termes, puisque les Etats-Unis attiraient la grande majorité de l’épargne mondiale sur leur territoire, ces derniers avaient le privilège de s’endetter sans payer. Le système était conçu de telle sorte que le dollar américain soit toujours au cœur des échanges internationaux. Et l’histoire a largement corroboré la théorie puisqu’en dépit des diverses crises qu’ont connu les Etats-Unis (notamment le krach de 1929 et la crise de 2008), le dollar américain n’a cessé d’être la monnaie la plus échangée et la plus détenue par les banques à l’échelle mondiale.
L’hégémonie du dollar menacée
Une tendance historique
L’hégémonie de la monnaie américaine a en réalité fait l’objet de nombreuses controverses et ce, dès le début des années 1960. En effet, durant toute la période courant de 1945 jusqu’à la fin des années 1960, les Etats-Unis étaient de loin la première puissance productive mondiale. Or, ils n’arrivaient pas à exporter l’ensemble des marchandises produites à destination de l’Europe et du Japon notamment au vu des ravages économiques causés par la guerre. Les stocks d’or étaient supérieurs à la quantité de dollar émise. C’est ce qu’on appelle le « dollar gap ».
Des plans d’aide économique tels que le plan Marshall en 1948 et le plan Dodge en 1949 ont alors été mis en œuvre afin de stimuler les exportations américaines vers ces pays-là, ce qui a mécaniquement engendré une hausse spectaculaire des dollars mis en circulation. À tel point que la quantité de dollars excédait largement les stocks d’or des Etats-Unis.
C’est ce que l’on qualifie de « dollar glut ». Dans le courant des années 1950 et 1960, cette situation s’aggrave dangereusement. Trois raisons peuvent principales sont retenues pour l’expliquer. 1) Les sorties massives de capitaux libellés en dollar dû au développement accru des Firmes Multinationales (FMN). 2) La politique monétaire très accommodante menée par la FED sur la période pour financer la société de consommation. 3) les pratiques des autres banques centrales puisque nombreuses de ces dernières octroyaient des crédits en dollar : les « euro-dollars ».
En somme, l’ensemble de ces éléments ont rendu le dollar trop abondant, ce qui a eu pour conséquence une baisse de sa valeur. Et, malgré la volonté du président américain de l’époque Kennedy d’y remédier en instituant le « Pool de l’or » en 1961 – le principe étant que les pays partenaires des Etats-Unis achètent des dollars pour reprendre de la valeur – puis des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) initiés par le FMI – instrument créé pour se substituer progressivement au dollar – en 1969, le « dollar glut » était toujours présent. De fait, une crise de confiance éclate et la valeur du dollar s’éloigne davantage de celle de l’or.
Ainsi, au vu du paradoxe de Triffin (1960, R. TRIFFIN) auquel sont soumis les Etats-Unis, le président Nixson suspend en 1971 la convertibilité du dollar en or, affectant non seulement l’économie américaine, mais aussi l’ensemble de l’économie mondiale au vu de la dépendance généralisée envers le dollar. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 n’ont qu’envenimé la situation puisque l’émission des « pétrodollars » a aggravé le gap déjà existant.
La signature des accords de Jamaïque en 1976 mettra fin au système de Bretton Woods et confirmera le passage à un régime de changes flottants. Le dollar n’est alors plus considéré comme l’unique monnaie de référence mais s’inscrit dans un système « multipolaire », c’est-à-dire avec d’autres devises. Ainsi, ce premier élément d’ordre historique nous permet donc de comprendre les germes d’une volonté croissante de certains pays de se séparer du dollar, remettant de fait en question son caractère hégémonique.
Qui se confirme dans le contexte actuel
La question du déclin de la suprématie du dollar fait les gros titres au vu des décisions prises par la FED pour réguler l’inflation à tout prix – qui s’élève à 3,7% en 2023 – et du contexte géopolitique de la guerre en Ukraine impliquant notamment diverses sanctions engagées par les Etats-Unis à l’encontre de certains pays tels que la Russie.
Le contexte plus général de crises politique et économique aux Etats-Unis ainsi que le contexte géopolitique ont pu potentiellement contribuer ponctuellement à l’érosion de la confiance qu’ont les divers agents économiques et notamment les investisseurs dans le dollar. Compte-tenu de la politique américaine de l’époque et des difficultés du gouvernement américain en 2011 à parvenir à un accord concernant le plafond de la dette – s’élevant en mai 2011 à 14,3 billions de dollars, Standard & Poor’s (S&P) a abaissé la note de crédit des Etats-Unis de AAA à AA+.
Le tout a instauré un climat d’incertitude planant sur les marchés mondiaux. En 2013, les mêmes négociations se sont poursuivies sans que le gouvernement puisse parvenir à un accord dans les temps impartis, ce qui a conduit à une fermeture partielle du gouvernement fédéral pendant 16 jours. Dans cette même perspective, le Congrès américain a décidé en 2019 de suspendre jusqu’en 2021 la limite de la dette, s’élevant à 23 billions de dollars.
Ce même processus a été réitéré fin mai 2023 puisque suite à un accord conclu précipitamment par le Congrès américain, le plafond de la dette des Etats-Unis (qui a atteint 31,400 milliards de dollars) est momentanément gelé jusqu’aux élections présidentielles et législatives de 2024. Cette instabilité a poussé l’agence de notation Fitch qui évalue la solvabilité et la qualité de crédit des émetteurs d’instruments financiers tels que les entreprises et les gouvernements à réduire la note des Etats-Unis de AAA à AA+ ce qui n’était pas arrivé depuis 2011.
L’agence explique cette rétrogradation par « les impasses répétées sur le plafond de la dette et des résolutions de dernière minute ». « Il y a eu une détérioration constante des normes de gouvernance au cours des 20 dernières années y compris en matière budgétaire et de dette ». A cela s’ajoute que le fait de mettre un plafond de dette devient sans intérêt puisqu’il est augmenté à chaque fois que la dette augmente.
Ainsi, l’agence déclare que « les affrontements politiques répétés sur le plafond de la dette et les résolutions de dernière minute ont érodé la confiance dans la gestion budgétaire ». A noter que des taux d’intérêts élevés sont à prévoir pour les années à venir au vu de la volonté de la FED de lutter contre l’inflation persistante sur le territoire, ce qui tendra à augmenter le poids de la dette à supporter par le gouvernement et les ménages américains – qui détiennent la majeure partie de la dette publique américaine. En bref, ce rabaissement de la note des Etats-Unis a entrainé une perte de confiance généralisée des investisseurs, ce qui a eu pour conséquence de plonger tous les indices boursiers dans le rouge.
Qu’adviendra t-il du dollar ?
Avant de conclure sur le déclin éventuel du dollar, nous reviendrons dans un second article sur deux dynamiques essentielles à prendre en compte. D’un côté, la montée des BRICS face au dollar. De l’autre, les perspectives d’avenir et le futur du dollar.
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