La connaissance longtemps oubliée de la théorie économique
L’affrontement des paradigmes keynésiens et néo-classiques longtemps à l’œuvre n’a laissé que peu de place à une approche dynamique de la connaissance en économie. Ce sont majoritairement les économistes de la croissance endogène des années 1970 qui, en considérant la possibilité de rendements croissants, ont montré à quel point la connaissance est déterminante dans une perspective de croissance économique particulièrement. Le résidu de Solow (1986), cette manne tombée du ciel pour reprendre Moses Abramovitz trouve dès lors une origine. Paul Romer l’explique en 1986 (Increasing return and long run growth) par l’introduction de la notion de Capital humain (théorisée par T.Schulz et G.Becker) à son modèle.
La croissance dépend alors largement de l’accumulation de formation et des connaissances acquises par les agents économiques, et ainsi, comme il l’a lui-même affirme, « le capital humain est un facteur dont l’efficacité est cumulative ce qui est source de rendements croissants« . La connaissance, qui ne se déprécie pas comme le capital (cf. Modèle de Solow) et se diffuse dans l’économie permet une théorique prospérité à long terme. Les agents économiques accumulent des savoirs qu’ils ne perdent pas et qu’ils font circuler dans l’économie par des mouvements sur le marché du travail par exemple. Une source de croissance potentiellement infinie est alors en marche.
Mais cette manne qu’est la connaissance peut aussi trouver une autre forme de manifestation qui a été analysée depuis un certain nombre d’années : L’innovation. On sait depuis Schumpeter à quel point elle est indispensable à la croissance, et les actualisations de Philippe Aghion nous permettent de mettre en perspective ce phénomène avec l’environnement économique contemporain (P.Aghion étant un éminent conseiller du président Macron).
L’Etat, producteur majeur de de connaissance
P.Aghion soutient aussi avec Alexandra Roullet dans Repenser l’Etat, pour une social-démocratie de innovation, que cette dernière doit se faire le point central d’une nouvelle économie rénovée basée sur la connaissance. Les politiques français et européens semblent l’avoir compris, en démontrent les nombreuses subventions à l’innovation mises en place depuis une vingtaine d’années. (CICE en 2012 sous F.Hollande, Credit d’impôt recherche , et jusqu’a 128 programmes européens d’aide à l’innovation). Car produire de la connaissance est aussi une affaire européenne. Le traité de Lisbonne le mentionne très clairement, le projet est de faire de l’Europe, » l’économie de la connaissance plus compétitive du monde.«
Et par-delà les frontières européennes, c’est le développement d’un pan entier de l’économie mondiale dite « émergente » qui repose sur un accroissement nécessaire du stock de connaissance. Si les transferts de connaissance peuvent permettre de pallier des lacunes de développement de certains pays (comme ce fut le cas du Japon sorti exsangue de la seconde guerre mondiale , qui a rattrapé son retard par une importation très importante de technologies américaines par le ministère de l’économie, CF modèle d‘A.Gershenkron de 1962 sur l’importation de connaissance), des mesures actives de promotion de l’éducation peuvent aussi permettre aux pays les moins développés économiquement de se rapprocher de leur frontière technologique( Un exemple à noter étant celui de la Corée du Sud), la corrélation positive entre croissance et éducation ayant par exemple été démontrée en 2004 sur un large échantillon de pays par P.Aghion et E.Cohen.
Mais ces mesures présupposent avant tout des Etats actifs, avec à leur tête des Hommes promouvant le bien public. Malheureusement, la réalité s’éloigne bien souvent de cet idéal démocratique, ce qui s’avère largement dommageable économiquement, alors que comme le montre Jean-Michel Severino par exemple dans Entreprenante Afrique (2016), l’incroyable vivier entrepreneurial que constitue l’Afrique (tirée par une population très jeune, 50% de la population africaine aura moins de 20 ans en 2050) pourrait entre autres permettre à ce continent d’atteindre d’ici 2050 le PIB de l’Union européenne. Il est ainsi du ressort des Etats, développés ou moins développés, de mettre en place des politiques actives de promotion de la connaissance pour entrer ou rester dans la course mondiale à la compétitivité.
Les enjeux contemporains de la connaissance en économie
Il convient premièrement de ne pas oublier à quel point le terme d’économie de la connaissance est récent. Fritz Machlup, le premier économiste à l’utiliser n’en fait usage qu’en 1962. Les enjeux liés à ce terme sont ainsi profondément contemporains et ancrés dans l’économie d’aujourd’hui, mais surtout de demain. Car si, comme nous l’avons vu, la production de connaissance est devenue un enjeu global de compétitivité, certains effets pernicieux de cette nouvelle économie ont cependant pu émerger. Si la connaissance est produite, elle ne profite malheureusement pas à tout le monde. Elle peut notamment impliquer des effets de polarisation entre les travailleurs qui la manipulent et les autres. Le scénario d’une polarisation croissante sur le marché du travail semble ainsi loin d’être à écarter dans une économie mondiale déjà en proie aux plus fortes inégalités.
La connaissance devenant centrale, ceux sachant la manier, la créer et l’utiliser deviennent indispensables, donc nécessaires à l’économie. L’émergence du métier de quantitative analyst sur les marchés financiers (dont les rémunérations annuelles atteignent assez aisément des sommes astronomiques) illustre par exemple ce phénomène. Ces as du codage, qui parlent le langage de l’économie d’aujourd’hui qu’est la programmation, se voient très demandés par les plus grandes banques d’investissement, et les rémunérations liées à ceux-ci explosent. La typologie de R.Reich de 1991 qui distingue les manipulateurs de symbole et les travailleurs routiniers semble à cet égard assez intéressante, en ce sens qu’elle permet une distinction formelle entre les travailleurs aptes à s’insérer au sein d’une économie en plein bouleversement, et les autres.
Il semble enfin que l’économie soit entrée dans un « tournant de la connaissance ». Depuis une vingtaine d’années, la connaissance a redéfini le périmètre d’une économie qui s’appuie désormais sur une ressource illimitée. La mise en place d’un réseau internet a pu constituer ce qu’E. Combe appelle une « innovation disruptive ». (Ou une « General purpose technology », GPT). Le champ d’application de cette innovation est infini, et façonne le monde actuel. Mais il semble qu’une innovation encore plus bouleversante soit actuellement à l’œuvre : L’intelligence artificielle. Entre inquiétudes et fascination, l’intelligence artificielle pose des questions. Comment imaginer des salariés travailler aux cotes d’IA ? Dans la mesure ou l’intelligence artificielle nécessite des connaissances pointues, peut-on imaginer une refonte totale du marché du travail ? Si le mouvement luddiste s’était constitué en réponse à une machinisation du métier de tisserand à Lyon, l’IA suscite aujourd’hui les mêmes angoisses.
Cette dynamique de développement des intelligences artificielles est aujourd’hui en grande partie due à des entreprises privées. En effet, il convient de souligner le caractère partiellement privé de la connaissance d’aujourd’hui et ce, depuis la seconde révolution industrielle. Si l’État a longtemps participé à la création de connaissance notamment pendant la guerre froide (Carlota Perez le montre avec l’exemple de la technologie du GPS développé pendant la guerre froide), la connaissance est aujourd’hui pour une large part le fait d’entreprises privées qui investissent massivement en R&D.
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