La question de la dette souveraine anime bien souvent les débats économiques. Qu’il s’agisse des Etats-Unis qui se voient obligés de relever une fois de plus le plafond de leur dette, du Sri-Lanka qui traverse une crise profonde de sa dette souveraine, ou même de la France qui réforme son système de retraite pour assurer sa pérennité sans financement par l’emprunt, la dette sous-tend bon nombre de discussions.
Mais quels sont les enjeux profonds de la dette souveraine ? Dans la mesure où la determination du niveau de dette d’un pays relève d’une décision à la fois politique et économique, dans un environnement aujourd’hui mondialisé, comment déterminer ce “bon” niveau de dette, s’il existe ?
Une explosion mondiale de la dette souveraine
Un certain nombre d’éléments macro-économiques ont à la fois favorisé et forcé les Etats à s’endetter. Depuis une décennie, le contexte de taux très bas voire négatifs ont permis à nombre d’entre eux de jouir d’un financement à très bas coût (taux souverains proches de 0 pour la France notamment). Dès lors, une explosion globale de la dette publique a pu être observée. Dans les economies avancées, le taux d’endettement est passé de 71% en moyenne en 2007 à 131% en 2020 au total, pour 60 000 milliards d’euros selon le FMI.
La situation est sensiblement la même pour les économies en développement : le ratio de dette/PIB est passé de 32% à 43% en moyenne sur la période 2007-2019, avec une très forte accélération (environ 9 points de PIB en moyenne selon la banque mondiale) sur la période COVID.
La pandémie de COVID a en effet forcé une grande partie des Etats à engager des dépenses en vue de soutenir l’économie. On chiffre ces dernières à environ 200 milliards d’euros en France.
Cette augmentation généralisée de la dette pousse à la réflexion. Le Etats peuvent, par définition, s’endetter éternellement, mais existe-il un point au delà duquel cet endettement n’est plus soutenable?
Quel est le « bon niveau » d’endettement public ?
Paul KRUGMAN, dans Analytical issues in debt (1989) présentait sa désormais célèbre courbe de la dette. L’explication en est assez simple. Au-delà d’un certain niveau de dette d’un Etat , la probabilité de remboursement de celle-ci diminue très fortement. Le dette n’est plus soutenable pour l’Etat en question. Mais comment déterminer ce point culminant ? Existe-t-il dans les faits ?
Le Japon nous permettrait, à priori, de répondre par la négative. Son niveau de dette atteignait en 2022 264% de son PIB. Ce chiffre phénoménal s’explique par divers facteurs, le plus prééminent semblant être la structure de détention de sa dette. En effet, autour de 90% de la dette japonaise est détenue par des investisseurs japonais (forte dette intérieure), ce qui limite très grandement les phénomènes de fuite des investisseurs pouvant mettre à mal l’économie nippone.
Un autre facteur explicatif de cet endettement colossal est la faiblesse à long terme des taux d’intérêts japonais (depuis les années 90 environ). Pour lutter contre les menaces – de temps à autres avérées – déflationnistes, la BoJ a mené des programmes de Quantitative Easing de très grande ampleur maintenant les taux d’intérêts durablement très bas. De nombreux économistes se sont longtemps posés en fervent détracteurs de ces politiques à l’instar de P. ARTUS et M.P VIRARD qui affirment dans La folie des Banques centrales (2016) que l’économie mondiale ne peut reposer sur ses banques centrales qui injectent des “montagnes de cash”. Tout le débat sur les politiques de Quantitative Easing rejaillit donc ici.
L’exemple du Japon nous démontre quoi qu’il en soit qu’un seul et unique niveau de dette ne peut réellement prévaloir. Cela mène inéluctablement à une réflexion à propos des sacro-saints 60% de dette publique autorisés par le TSCG (pacte budgétaire européen) en vigueur dans l’union européenne …
L’endettement public : un enjeu clé pour les pays en développement
A. GERSCHENKRON ,dans Economic Backwardness in Historical Perspective (1962), met en avant la nécessité d’un financement extérieur pour les pays suiveurs qui font face à un manque d’épargne interne. En utilisant le levier de l’endettement extérieur, ces pays rejoindront en théorie quasi-mécaniquement le chemin de la croissance.
La réalité est toute autre. Comme en attestent les crises de la dette mexicaine (1982), argentine (2001), et asiatique (1997).
En effet , ces pays pour lesquels les marchés ont peu confiance se voient obligés d’emprunter en “monnaie dure” (euro ou dollar) pour éviter de succomber au “pêché originel” – qui consiste à laisser filer l’inflation pour abaisser le poids de leur dette, en lésant ainsi les investisseurs.
Ces pays se retrouvent dépendants des politiques économiques des pays d’ancrage, ce qui peut s’avérer ravageur.
L’Argentine est un cas d’école en la matière. Pour faire face à une inflation forte (environ 10% par an), les dirigeants argentins décident en 1992 d’ancrer le peso au dollar. Tout se passe pour le mieux tant qu’Alan Greenspan, alors aux commandes de la Fed laisse le dollar se déprécier. On parle alors de “miracle argentin”. L’argentine s’endette alors massivement en dollar. Tout se complique lorsque le dollar s’apprécie à la suite de la crise asiatique de 1997, et qu’une certaine peur des investisseurs commence à planer sur l’Argentine. La dette devient définitivement insoutenable en 2001 lorsque la parité est suspendue. Le pays n’a alors plus d’entrées en dollar : le peso et le dollar divergent. L’Argentine se trouve alors en défaut de paiement. S’en suivront les nombreuses (et décriées) politiques d’ajustement structurel menées par le FMI (cf. critiques formulées par J.STIGLITZà à ce sujet).
Cet exemple nous montre que la dette est un instrument à manier avec grande précaution. De nombreux facteurs macroéconomiques doivent être pris en compte (taux de change, balance des paiements, structure de détention de la dette, monnaie dans laquelle celle-ci est libellée etc…) pour pouvoir, en cas de retournement de situation , faire face au service de la dette.
Un certain nombre d’économistes ou chefs d’Etat ont souligné le caractère très politique de la dette. Thomas SANKARA (Ancien Président du Burkina Faso) appelait même dans son discours d’Addis Abeba de 1987 à constituer un front africain de lutte visant à ne pas régler leur dette, alors jugée comme un instrument post-colonialiste.
La célèbre économiste de mouvance marxiste Rosa LUXEMBOURG ira aussi dans ce sens dans son ouvrage L’accumulation du Capital en affirmant que la dette serait un instrument central de l’impérialisme.
La dette, une question éminemment politique
La dette publique relève largement de considérations politiques, en démontre le choix de la réforme des retraites de notre gouvernement. Choisir de s’endetter ou au contraire de se désendetter est un choix qui a des consequences, à la fois sur les politiques publiques actuelles et sur celles des générations futures.
Mais la dette semble aussi s’inscrire dans une stratégie géopolitique. Les reproches faits à la Chine tendent à le prouver. La Chine est en effet souvent accusée de “piéger des pays par la dette”, notamment en Afrique subsaharienne, où elle est par ailleurs le premier créancier bilateral.
Un exemple de cette politique est la prise de contrôle du Port Sri-Lankais de Hambantota (rappelons qu’un port est pour une nation à la fois stratégique et symbolique en termes de souveraineté) par la China Merchants Port Holdings pour une période de 99 ans, alors que le pays s’est vu étranglé par la dette contractée lors de sa construction.
Nous avons pu voir à quel point la dette constitue pour un Etat un enjeu stratégique. S’il ne semble pas exister un unique et bon niveau de dette, il convient pour les nations de prendre en compte l’ensemble des variables macroéconomiques pour parer à toute éventualité.
Le contexte macro-économique actuel nous prouve que même les Etats-Unis qui jouit du “privilège exorbitant” (Valéry Giscard d’Estaing, 1960) de pouvoir s’endetter dans sa propre monnaie, fait face aux contradictions de ce système monétaire.
Une question vient : Faut-il repenser notre système monétaire international ?
Ce thème de la dette souveraine peut-être utilisé dans de nombreux sujets tant il est transversal : des politiques économiques, aux crises, en passant par le développement, il est indispensable de ne pas en faire l’impasse lors de vos révisions.
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