La monnaie : les théories fondatrices à connaître

par | 30 Sep 2022 | Economie, sociologie et histoire

La vision dichotomique classique de la monnaie

Les mercantilistes (16ème -18ème), les classiques (1778-1848) et les néo-classiques (1870-1936) qualifient la monnaie comme une innovation de procédé qui par ses propriétés techniques est une voiture facilitatrice des échanges (Ricardo), mais rien de plus. 

  • La monnaie est exogène à l’économie réelle : Jean-Baptiste Say dans Traité d’économie Politique (1803) explique que la monnaie est un flux de la sphère monétaire qui accompagne un flux réel (échange de biens) mais n’influe pas sur le volume ainsi que la structure de cet échange. Le volume de production génère une distribution de revenus primaires dont la valeur monétaire égale celle du volume de bien ou de services de consommation ou de biens d’équipements (investissement) désirés par les agents.
  • La monnaie se détient pour motif de transaction seulement : Cette monnaie-voile n’est pas considérée comme une richesse en soi. La monnaie exprime le prix de marché d’un produit. Sauf que pour les mercantilistes et les classiques, le prix de marché n’est que la valeur d’échange d’un produit qui est égale à la quantité de travail mobilisée pour produire ce bien.

Ricardo dans Les principes de l’économie politique et de l’impôt (1817) montre que les systèmes de prix de marché sont déterminés par les coût relatifs de production des biens, fonction d facteur T.

Le seul effet de la monnaie est restreint à la sphère monétaire : cet effet s’appelle l’inflation, considérée donc comme d’origine purement monétaire. Cette idée est formulée par la Théorie Quantitative de la monnaie, énoncée dans The Purchasing power of the Money (1911) par Irving Fischer :

M*V = P*T

La Vitesse de circulation de la monnaie (V) est constante à moyen terme car liée aux habitudes des agents. Le volume des transactions (T), reflet de la production, est indépendant de la masse monétaire (M), puisque la monnaie n’a pas d’impact sur la sphère réelle. Lorsque M augmente plus vite que T, l’ajustement pour que l’équation reste égale se fait par P, le niveau des prix. Ainsi, l’inflation augmente mais ceci n’impacte par l’économie réelle (T) en vertu de la dichotomie entre sphère monétaire et réelle.

Les effets néfastes de la monnaie sur l’économie réelle

Ces économistes ont en commun de rejeter à des degrés divers la dichotomie de la monnaie tout en souhaitant sa « neutralisation » par la lutte contre l’inflation.

Le courant monétariste (M.Friedman): une dichotomie faible

Milton Friedman estime en 1956 dans The Quantity Theory of Money : A Restatement que la monnaie a des effets transitoires à court terme.

Selon Friedman, les consommateurs dépensent selon une estimation de leurs revenus passés, présents et futurs, de par leur rationalité. Cette estimation s’appelle le revenu permanent, en principe égal au revenu effectif présent, dit revenu courant.

Revenu courant = Revenu permanent + Revenu transitoire

Un niveau de monnaie supérieur à la richesse réelle (biens en circulation) engendre un effet de richesse illusoire et transitoire, d’où le revenu transitoire positif. Le revenu transitoire est confondu comme étant une augmentation du revenu permanent, les agents vont alors plus consommer. La sphère monétaire a donc un impact sur un agrégat réel. Mais les prix augmentant à cause d’une Demande supérieure aux capacités de l’Offre, les consommateurs corrigeront leurs erreurs car leur revenu permanent paraît impacté. À Long terme, l’impact de la monnaie est gommé.

L’école autrichienne : un refus de la dichotomie

Les économistes de ce courant estiment que l’inflation a des effets durables néfastes sur l’économie en faussant les prix, car les prix forment un système d’information par lequel le marché pilote de manière informelle les agrégats réels.

Friedrich Hayek notamment distingue dans Prix et Production (1931) le taux d’intérêt de marché monétaire lié à la quantité de monnaie du taux de marché naturel lié à l’épargne disponible. Si par un excès de monnaie, le premier taux est inférieur au deuxième, le producteur est trompé et pense que le taux d’intérêt naturel a baissé, c’est-à-dire que les ménages ont plus épargné que consommé.

L’investissement se concentre alors sur les entreprises productrices de biens de production et délaisse celles produisant des biens de consommation. Une double inflation apparaît: sectorielle car les secteurs des biens d’équipements en surproduction vont augmenter les salaires pour attirer en amont les travailleurs et en aval, la demande est supérieure à l’offre de biens de consommation.

L’approche endogène de la monnaie

Les défenseurs de cette approche sont qualifiés d’intégrationnistes. Selon eux, la monnaie a en fait une influence sur l’économie réelle via le taux d’intérêt, cet impact n’est pas nécessairement négatif et la monnaie peut être possédée pour elle-même. C’est surtout J.M.Keynes qui dans Sa théorie générale (1936) et Treatise on Money (1930) formalise ces idées.

Aux côté du motif de transaction, la Demande de Monnaie dépend d’un motif de précaution, qui prend la forme d’une épargne liquide que les agents constituent en période d’incertitude économique. Le motif de spéculation peut expliquer aussi une variation dans la Demande de monnaie.

L’inflation selon Keynes peut s’expliquer par des agrégats réels, notamment la hausse des salaires. Cette illusion est positive, car les agents l’interprètent comme une hausse de leur richesse et se mettent à consommer. Une inflation par la demande apparaît à court terme mais elle disparaît vite car les entreprises embauchent et investissent massivement face à ces débouchés anticipés. Finalement la production rattrape la création monétaire et le plein-emploi est atteint au prix d’une l’inflation de court terme.

Pour conclure, il est important d’intégrer ces théories dans leur contexte historique pour juger de leur pertinence. Aucune théorie n’a démontré sa supériorité par rapport à une autre. Cependant, les théories « dichotomistes fortes » correspondent à une époque de faible inflation, jusqu’au 19ème siècle, tandis les approches reniant partiellement ou totalement la dichotomie de la monnaie (monétaristes, keynésiennes ou de l’École Autrichienne) réagissent à l’apparition de l’inflation et à la généralisation du système de monnaie-dette lors du 20ème siècle.

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